samedi 10 juin 2017

I comme... Il est parti de rien

Lors du ChallengeAZ 2015, j'avais dédié le J à un joli cadeau. Mon grand-père m'avait alors envoyé un manuscrit de 30 pages sans aucune ponctuation. Je l'ai lu, je l'ai tapé au kilomètre et je l'ai mis en forme. J'ai trouvé des illustrations pour étoffer le récit et puis j'ai fait relier le tout. 
Il était fier !

Marius est né en 1931 à Beaumont-en-Véron, fils d'un cantonnier quasi illettré et d'une cantinière. Il n'était pas un brillant élève mais a su assez tôt qu'il voulait être menuisier. En 1945 il a 14 ans. Il trouve un patron pour faire un apprentissage. A 6 km de la maison parentale, il les fait à pied matin et soir, sur des chemin de pierre non goudronnés. Au bout de deux ans, il a son 1er vélo. 54 heures de travail par semaine. Certains soirs, il suivait des cours pour préparer le CAP avec un instituteur de Chinon. Au bout de 3 ans il décroche le CAP à Tours, pratique et théorie. Et puis il avait appris un métier.
La maison des compagnons, Nantes
Après son apprentissage il voulut voir ailleurs. Il pris contact avec un compagnon qu'il avait connu sur un chantier. En décembre 1948, le voilà rendu à Nantes pour commencer les cours de dessin. L'actuel siège des compagnons du quai Malakoff en face de la gare n'existait pas encore. C'était plus des cabanons sur un grand terrain nu. Aujourd'hui il est reconnaissable par sa flèche torse.


En mars 1949 il est reçu aspirant compagnon. En avril il part pour Lyon. Il galère puis trouve du travail fin mai, à Saint-Etienne, au Bois industriel. Usine avec pointeuses, coup de sirène, les blouses bleues, la blouse blanche et les machines. Lui qui a appris son métier au rabot, à la varloppe et avec l'affûtage à la main ! Le bruit en plus ! Il est repéré par la qualité de son travail. On lui propose de monter au Havre où les bombardements ont laissé de quoi travailler quand on a un métier pareil. A peine arrivé au Havre il rentre à Saint-Etienne parce qu'un chantier urgent l'attend à Cannes. Le voilà rendu en juillet 1949 au palais du festival du film, pour deux mois. L'inauguration du festival s'est faite alors que le palais n'était pas terminé. Il travaille parfois même la nuit pour avancer le plus possible. Il y a croisé l'architecte décorateur Gridaine qui avait installé ses bureaux à l'hôtel d'à-côté.
Démolition du 1er palais du festival, Cannes
Marius se souvient des salles de projection, des escaliers, des rampes, tout en marbre, des plafonds en staff, des sculptures sur plâtre faites par les spécialistes en décoration du studio de cinéma la Victorine de Nice. Il a pu voir passer de la starlette, la cerise sur le gâteau de l'incroyable opportunité qu'il a eue. 
Il a eu l'occasion d'y retourner, 43 ans après pour montrer à sa femme ce qu'il avait contribué à faire... Ils y ont vu la démolition du 1er palais, remplacé plus loin par l'actuel. 


De retour à Saint-Etienne il change de patron jusqu'en mai 1950. Ensuite il part à Strasbourg, dans une ancienne caserne que les compagnons vont rénover (bombardée) et transformer en siège. D'ailleurs l'actuel siège est toujours là à l'angle des rues Molsheim et Wasselonne. 
Là il découvre que l'Alsacien n'est pas un Français de l'Intérieur. Ni dans la langue, ni dans le métier de menuisier. Il s'adapte, il apprend, il travaille bien, il est bien payé. 
Novembre 1950, il part pour Paris. Le siège y est en construction au 84 rue de l'Hôtel de Ville. Toutes les bonnes volontés peuvent y prêter la main. Il y fait de nouvelles rencontres qui l'emmène en avril 1951 au château de Coubertin à Saint-Rémy-lès-Chevreuse. Il n'y a rien, que de la rénovation à faire, des moulures, des portes, des fenêtres...  Aujourd'hui et depuis, ce château accueille la fondation de Coubertin.
Là, le compagnon qu'il accompagne l'invite à monter à Strasbourg pour les premières assises nationales des compagnons. Il y va pour voir, passe la nuit dans le train et se retrouve dans la calèche d'honneur auprès du doyen des compagnons, en tant que plus jeune compagnon. Les compagnons marchent de chaque côté, avec les couleurs, les écharpes et les cannes. Mazette !

Ah au fait, je ne vous ai pas dit, mon grand-père s'appelle désormais Marius le Tourangeau. 

Il poursuit son tour de France près de Lens pour prêter main forte à la construction de tout un ensemble de maisons, puis à Hazebrouck pour la SNCF.
Après, quelques jours en Touraine chez les parents qui lui rappellent qu'il doit penser à faire l'armée... Il trouve un patron à Avoine, rencontre une jeune femme, Gisèle, et part au régiment en avril 1952. Direction le Maroc pour 18 mois sans permission. 
C'est très dur avec les tirailleurs sénégalais et les instructeurs
fraîchement rentrés d'Indochine. Il y fait même une crise d'appendicite et une péritonite. Un mois de lit après infection des agrafes. Après la convalescence il décroche un poste de menuisier au casernement.
Après le régiment, il rentre, est embauché par le patron rencontré en 52 et qui a décroché le chantier de HLM. Il retrouve aussi Gisèle et l'épouse à l'été 54.
Ils ont 3 enfants (dont ma mère) et construisent leur maison. 

Dans les années 1950 c'est la construction de la centrale EDF (EDF1) qui embauche. Il reste chez son patron mais des collègues les quitte. Marius tient mais en 1961 c'est une nouvelle extension de la centrale qui est construite. Il quitte son patron pour intégrer GTM (Grands travaux de Marseille), il passera chef d'équipe rapidement. Après 5 ans le travail était moindre à la centrale, GTM lui propose de continuer mais ailleurs. Il renonce aux déplacements à cause de la maison et des enfants en bas âge. Il a quitté, a trouvé un autre contrat, est passé agent de maîtrise. En 1977, GTM revient en force pour les nouvelles tranches de la centrale. Il croise d'anciens chefs, qui le reprennent ! 11 ans après !
Encore 4 années de chantier, devient chef d'atelier, fait acheter de meilleures machines, veille à la sécurité de ses 5 chefs d'équipe et des 40 gars. 
Après la centrale il part sur le chantier de la déviation à Chinon, et puis un pont au-dessus de la voie ferrée Chinon-Tours.

Il cesse de travailler à 56 ans, en août 1987. Médailles du travail, argent, vermeil et or. 

Marius a 85 ans et vit toujours dans sa maison avec sa Gisèle. 
Ils ont eu 3 enfants, 5 petits-enfants et 4 arrières petits-enfants. En août il en sera à 30 ans de retraite.

Aucun commentaire: